le blog du curé de Brûlon (72)
Etienne Beucher fut curé de Brûlon de 1774 à 1789.
Il est vicaire à Brûlon depuis 1762 Il devient curé le 19 novembre 1774 lors du décès de celui qu'il appelle son bienfaiteur Maître François Martin Bruneau de Richebourg curé de cette paroisse. Cette paroisse de Brûlon doit avoir à cette époque une certaine importance, son titulaire est issu d'une "grande famille" et elle est désservie par au moins un prètre sacriste principal du collège (Jean Louis Ravet) et un vicaire (Etienne Beucher). Il y a sans doute eu une sourde rivalité (au moins) entre ces deux prètres; et c'est Etienne qui remporte la palme en étant désigné comme successeur du curé décédé.
à partir de cette date notre Etienne Beucher, poussé par une irréprescible envie de communiquer et sans doute de témoigner pour la postérité (il l'écrit en 1789) va utiliser la place restant sur le registre pour écrire la petite histoire de sa paroisse et aussi la sienne, et plus, lors d'évènements qui le dépassent et le passionnent. Il ne fait aucun doute que si ce prélat avait vécu en 2014, il aurait tenu un blog de la paroisse de Brûlon.
Il aborde surtout des sujets liés aux conditions météorologiques et aux récoltes et par là aux conditions de vie de ses paroissiens. Pour nous qui ne sommes pas historiens, cela constitue un témoignage peu diffusé, précis et parfois émouvant de la vie des gens du peuple à cette époque.
voici une transcription de l'année 1777:
J'ai respecé l'orthographe et la mise en page pour ceux qui voudraient aller voir l'original.
Remarques pour l’an 1777
Pendant le cours de cette année, on a établi dans cette
paroisse un bureau de charité. Voyant l’abus qui
résultait de laisser courir les pauvres mandier leur vie ; ce
qui les entretenait dans l’oisiveté, leur inspirait de plus en
plus le dégout du travail, et de là fomentait tous les vices.
autre inconvénient, savoir que les plus hardis par leur
opiniâtreté avaient la meilleure part en les aumônes,
pendant que souvent les plus indigents restaient dans les
maisons mourant de faim, retenus ou par timidité ou
par maladie, ou par le grand nombre d’enfants petits,
on a vu que le meilleur moyen était d’un côté d’empêcher
cette vie vagabonde, et de l’autre de proportionner les « aumônes »
aux besoins respectifs. Pour cela on a fait une assemblée
de paroisse dans laquelle il a été décidé qu’on ferait des
reglemens partant qu’il y aurait un tronc à l’entrée de
l’église où metteraient leurs aumônes ceux qui ne voudraient
pas être connus, qu’il y aurait un grenier où l’on déposerait
le grain provenant ou de la charité des fermiers ou de
l’argent du tronc : le tout fermeraient à deux clefs
déposées entre les mains du sieur curé ou du procureur
de fabrique*, ou d’un des administrateurs du bureau
Ledit bureau est composé des sieurs curé
du seigneur, procureur de fabrique, syndic
et des notables tant du bourg que de la paroisse et
en outre d’une dame de charité.
Le dernier Dimanche de chaque mois le sieur curé avertit
le bureau de s’assembler pour faire l’ouverture du tronc
et du grenier afin de régler ce qui sera donné à chaque
maison pauvre suivant le mémoire que l’on a fait desdits
pauvres mémoire ou l’on a la liste des pauvres, le nombre
et l’âge de leurs enfants : cette aumone ce fait tous les
premiers dimanches de chaque mois, excepté les mois d’aoust,
septembre et octobre et quelquefois novembre.
Pendant le courant de chaque mois si quelqu’un se trouve
malade, ses parens viennent trouver le sieur curé trezorier
du bureau qui leur donne une carte pour aller ou chez
le chirurgien chercher les remèdes ou chez la dame de charité
chercher viande, bouillon, vin……. Ou argent
en quantité marquée par la carte , le « dit » chirurgien et la »dite »
dame viennent quand bon leur semble lors de la tenue
du bureau se faire payer ce qu’ils ont fourni.
par ce moyen les pauvres sont assistés en santé et en
maladie, et au lieu d’aller perdre le temps à mandier, ils
travaillent.
Nota 1 que le sieur curé doit de temps en temps dire quelque
chose pour faire voir davantage de cet établissement et engager
les particuliers à fournir selon leur moyen
Nota 2 Qu’au commencement de l’hyver il doit avertir
ceux qui ont de vieilles hardes comme habit, vestes cotillons
chemises et de les luy envoyer pour qu’il les donne selon
le besoin. en touttes choses il doit donner l’exemple.
Nota 3 que l’on a un registre cotté et paraphé du juge
qui renferme et contient l’établissement du bureau.
les articles de réglemens qu’on observe. Comme les pauvres
audacieux, voleurs, impies, fainéans etc n’auront point de
part aux aumones.
Nous avons remarqué que depuis un an qu’on observe ce que dessus
et des autres parts, 45 ou 50 boisseaux de mouture par mois
suffisent pour les pauvres, et qu’en y comprenant les autres
dépenses soit pour le chirurgien, soit pour la dame de charité
il ne faut pas plus de quinze ou dix huit cent livres par an
an pour assister tous les pauvres. à Brulon le froment
vaut 5 (livres tournois)** 10 sols le méteil***, 4 Lt 10sols les autres grains
à proportion. Les pauvres sont contents et bénissent le
Ciel : amen Beucher C de Brulon
Autre remarque
Cette même année a été la plus fertile en toutte sorte de grain
qu’on ait peut-être vû. tous les fermiers (ce qui est rare) se
trouvaient contents. Le printemps et l’été jusqu’à la fin de
juillet ont été ou froids ou pluvieux( depuis environ
quinze ans tous les printemps sont de même ce qu’on
attribue à l’axe du monde qu’on dit incliné plus
qu’auparavent : pour moy j’avoue que je n’encourerais
d’autre cause que la volonté du tout puissant)**** le mois
d’oust a été d’une chaleur et d’une secheresse sans
interruption, l’automne à proportion : depuis le
froid du printemps et d’une partie de l’été a part
cy dessus, les automnes sont charmantes.
Quoyque les greniers soient pleins, cependant
Le grain comme on le voit de l’autre part
N’est pas à bon marché ; ce qui vient tant de
ce que les fermiers ne se pressait point de vendre étant
enrichis depuis dix ans que le grain a été très cher.
Quoyque presque toujours en abondance que de ce que
L’exportation étant permise, les bleds partant en païs
Etranger, les fermes depuis cinq ans ont augmenté
Près des deux tiers. il y a un nombre considérable de
Persones qui en cherchent sans pouvoir trouver : ce qui
Empeche qu’on ne se marie. Actuellement il y a plus
De cinquante jeunes gens en cette paroisse qui ont
L’âge et la volonté de se marier, mais qui en restent
Là ne trouvant pas même de maison où loger.
On n’a presque pas cueilli de vin cette année
Aussi est-il très cher le vin d’anjou vaut 250 Lt
La pipe ; il a été des pommes passablement mais
La normandie est manquée.
Beucher
* La fabrique: conseil de gestion financière de la paroisse
** LT dans le texte
*** Méteil: mélange de seigle et de blé semés et récoltés ensemble
****Ou l'on voit qu'il n'y a pas grand chose de nouveau sous le soleil.